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Mes élèves ont quatorze à quinze ans. J’enseigne depuis 1970 et j’y trouve toujours autant de plaisir. J’appelle cela du rodéo, c'est-à-dire qu’on est bien secoué sur sa monture, mais qu’il faut à tout prix garder la main, rester dessus. Et cela semble marcher, car les élèves ne m’ont pas encore passée par la fenêtre!
Si je m’efforce d’arriver à l’heure, ce n’est pas pour les beaux yeux de mon directeur, c’est en pensant à mes élèves qui se sont levés eux aussi, en pleine croissance, alors qu’ils ont besoin de repos pour bien grandir. Si je m’efforce de rendre mes leçons attrayantes, c’est parce que je sais qu’ils se sentiront mieux dans une ambiance chaleureuse. Si j’essaie de traiter le programme, c’est en pensant à leurs études futures où ces acquis leur seront demandés. Si je pense à conduire mes leçons d’une manière détendue et amusante, c’est parce que je sais que l’humeur ambiante, si elle est positive, facilite l’acquisition du savoir; dans cette atmosphère, les deux hémisphères du cortex collaborent au mieux. Il ne faut pas oublier que les canaux qui les relient passent par le cerveau limbique, siège des émotions. Sous le stress de l’interrogation, le cerveau limbique résonne à cela, et c’est le «blanc»…
Si je tente de livrer à mes élèves des documents clairs, sans faute, bien structurés, c’est par respect pour eux. Si je réponds à toutes leurs questions, c’est par respect pour eux. Si je rends une mauvaise note avec une remarque sur le travail en question, faible cette fois-là, mais avec une remarque positive sur l’élève en question, qui pourra faire mieux la prochaine fois, c’est pour l’encourager. Je vais m’abstenir de tout mot négatif à leur égard, et chercher le positif. Je pense que mes élèves ont le droit de me voir arriver tous les matins avec le sourire.
On le voit, tout repose sur le respect que je voue à mes élèves. Et j’en suis devenue consciente il n’y a pas si longtemps…! Mes collègues me disent: «Si tu les respectes, ils vont en profiter et te danser sur le ventre!» Et c’est le contraire qui se passe. Respecter dans chacun, sinon l'homme qu'il est, du moins celui qu'il pourrait être, qu'il devrait être. Henri-Frédéric Amiel
À l’école primaire et au lycée, il y a un «no mans land» entre les élèves et le prof, une zone libre où l’on peut bien travailler. Les élèves le veulent bien, ils suivent les consignes et font ce qu’on leur dit. Sauf cas exceptionnels. A l’école secondaire, c’est différent. Tout est discuté voire contesté, sauf les ordres du genre «Vous pouvez ranger et sortir». En fait, il n’y a que deux possibilités: soit le maître met la pression, soit les élèves lui dansent sur le ventre. «Mettre la pression», quelle horrible chose! Et pourtant, un tout petit peu, le moins possible, on doit le faire. Sinon on est submergé. Les deux puissances en présence sont au contact, il y a un front comme en cas de guerre, la zone libre de saine collaboration manque la plupart du temps, sauf cas exceptionnels. Bien des enseignants ont des problèmes de discipline au secondaire inférieur parce qu’ils sont trop gentils. Les élèves doivent sentir que le maître commande. Le maître doit être là, bien présent, bien concentré. Cela revient à dire qu’il ne doit pas avoir de problèmes personnels qui le préoccupent. Chaque élève doit avoir l’impression que la leçon s’adresse à lui tout seul. Le prof doit se multiplier, être partout, tout voir, tour observer. La qualité de la présence du maître, je l’ai apprise en pratiquant l’aïkido, art martial japonais d’auto-défense. Durant l’entraînement, on est totalement disponible pour l’«ici et maintenant»., car en principe, on joue chaque fois sa vie sur le tatami. Mes collègues m’ont dit: «On le voit, quand tu entres dans une classe, les élèves changent, ils deviennent différents, ils font attention à toi…» On en arrive à se poser la question s’il existe une autorité naturelle…? Même si mon enseignement allait bien avant mon début de la pratique de l’aïkido, il a évolué grandement depuis que je pratique cette activité physique et surtout mentale.
Je m’inspire aussi grandement de la pédagogie japonaise: à un élève qui s’efforce d’avancer, on ne dit jamais «non». On est toujours positif. Si un élève dit une phrase fausse –j’enseigne les langues– je la redis juste, simplement. Comme cela, il se risquera une nouvelle fois à participer à la leçon. Bien sûr, il y a des exceptions!
En fait, on reçoit ce que l’on donne. Si un prof compte les jours jusqu’aux vacances et les mois ou les années jusqu’à la retraite, s’il donne ses leçons juste pour avoir son salaire et ses magnifiques vacances, alors les élèves le sentent et ne le respectent que par peur des punitions, ou bien ne le respectent pas du tout.
Les adolescents d’aujourd’hui sont passablement déboussolés. Souvent, les familles sont monoparentales ou recomposées. Un enseignant est souvent une personne phare, une aide, un pôle solide et ferme qui les aident à traverser les perturbations de la puberté et à découvrir le monde actuel.
L’enseignant rencontre les parents lors de la soirée parents, une fois par année ou plus si besoin est. Ma position, vu mon âge, est celle de la grand-mère. Il se trouve même parmi les parents des anciens élèves! J’ai élevé deux enfants. Même s’il y a cent chemins pour traverser l’adolescence, cette expérience me donne de la crédibilité face aux parents. De quoi les parents ont-ils besoin? D’empathie. C’est à cela que je me consacre lors de la soirée parents, en plus des renseignements divers qui me sont demandés. Ce n’est pas facile d’élever des enfants au XXIe siècle! Je leur tends la main.
Merveilleux métier que celui de prof! Mais quand on enseigne, on mouille sa chemise comme en jouant au tennis! D’ailleurs dans une comparaison des divers métiers et de la consommation d’énergie liée à leur pratique, le métier de prof se situe au même niveau que celui de forestier-bûcheron…!
Mireille Grosjean, Les Brenets NE